Kaouther Adimi — La Joie ennemie

Avec ce nouveau volume de la collection Ma nuit au musée, Kaouther Adimi raconte sa nuit passée entre les murs de l’Institut du Monde Arabe. Le lecteur apprend qu’une première tentative d’écriture au Musée Picasso avait échoué en 2018, hantée par des fantômes trop présents. Cette confidence touche par la douleur d’une mémoire encore vive.
Ce livre aurait aussi pu s’intituler La grande nuit tant cette expression en irrigue le cœur. L’autrice y évoque la décennie noire qu’elle a traversée lorsque sa famille est retournée vivre en Algérie dans les années 1990. À ce retour contraint se mêlent des souvenirs troubles altérés par un mal-être lancinant. Elle évoque les douleurs chroniques qui la conduisaient à l’hôpital sans qu’aucun diagnostic ne parvienne à nommer son angoisse.
Redoutant un nouvel échec, elle déambule dans le musée, cherchant à faire revenir ce qui s’efface. « Chaque pas déplie une phrase. Chaque mouvement replace une idée. Le rythme du corps est celui du texte. » Obsédée par le souvenir d’un faux barrage dont elle revit chaque seconde, elle en vient à douter de ses réminiscences. 
Et pourtant, des bribes ressurgissent dans cet espace qu’elle avait choisi pour rendre hommage à Baya, au contact de son œuvre, dont elle se remémore la découverte aux Beaux-Arts d’Alger. « Je voulais écrire sur elle, et pourtant, je n’écrivais que sur moi. » Peu à peu, les deux récits se rejoignent. Baya a aussi vécu cette grande nuit, refusant de quitter son pays.
L’écrivaine tourne autour de cette figure mystérieuse et érudite dont on retient le talent et le silence. Silence qui règne entre elle et son père, renforcé par cette incompréhension du retour. « L’écrivain est toujours un peu misérable lorsqu’il force les confidences de ses proches, lorsqu’il insiste et espère une vérité qu’on ne veut peut-être pas lui donner. » Alors elle cherche. Elle convoque le souvenir des siens car des détails lui échappent. Elle ne sait plus. 
Loin de la précision froide des archives, Kaouther Adimi revendique la fragilité du souvenir et sa subjectivité. Elle propose un récit intime où sa mémoire se confronte à l’histoire, à Baya et au mutisme. « Peut-être que c’est ça, tout le projet de ce livre : inventer une contre-archive. »Estelle Derouen

LA JOIE ENNEMIE
KAOUTHER ADIMI
COLLECTION MA NUIT AU MUSÉE
20 AOÛT 2025, STOCK

Estelle Derouen
Author: Estelle Derouen

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