Pauline Gonthier — Parthenia

Parthenia : de la cité antique aux forums incels

Parthenia : du grec ancien « virginité ». Ce mot antique devient dans le roman
de Pauline Gonthier le nom d’un jeu vidéo qui cristallise haine misogyne et
domination masculine.


Depuis sa rupture, Baptiste veille nuit et jour sur son ordinateur. Attentif aux
conseils en séduction, il passe des forums aux jeux vidéo et finit par découvrir
Parthenia. Il y déambule des heures entières, « entre les façades ocre et brunes, jet[ant]
un oeil curieux à travers les portiques ». Léa, jeune attachée parlementaire d’un
député populiste, tente, coûte que coûte, de grimper l’échelle sociale. La nuit, elle
trouve en Parthenia le prolongement de son travail : une manière de continuer
d’observer le monde de l’intérieur.

Manosphère

Premier titre de la toute nouvelle maison d’édition Les Léonides, Parthenia montre
comment le divertissement et les jeux vidéo peuvent devenir le terreau d’une
radicalisation. Derrière les discussions des gameurs prend forme l’idéologie incel
(involuntary celibate) ou célibataire involontaire, désignant une communauté
d’hommes masculinistes, antiféministes et sexistes. Aussi le parcours des deux
protagonistes donne à lire la mécanique, insidieuse et quotidienne, par laquelle la
haine misogyne se glisse dans les interstices du numérique, là où la domination
masculine devient un énième terrain de jeu, en plus de celui de l’arène politique.
Du bureau que Léa partage avec ses collègues au Palais Bourbon, au repoussant
studio de Baptiste, Parthenia nous immerge dans leur addiction à habiter un monde
de faux-semblants – qu’il soit politique ou virtuel. Parthenia propose une cité aux
règles nettes : un commandement lapidaire, une agora où se rejoignent les « initiés »,
une élite composée d' »Immortels », et « l’impression d’exister sans effort aux yeux des
autres » avec « en prime le pouvoir de ghoster les relous. » Un monde où chacun sait
qui il est, où il se place, et comment se comporter. Parthenia apporte « une chose
plus précieuse encore : l’impression d’y être attendu. »
Sans diaboliser la culture numérique, Pauline Gonthier dissèque sa récupération
idéologique. Car du jeu en ligne à l’échiquier politique il n’y a qu’un pas. Et c’est
bien là que réside la force du roman : révéler la continuité souterraine entre ces deux
théâtres. D’un côté, Léa évolue dans les couloirs feutrés d’un pouvoir populiste où la
misogynie se drape dans les codes de la respectabilité politique. Attachée
parlementaire, elle incarne la femme tolérée tant qu’elle reste dans l’ombre, et bientôt
instrumentalisée pour légitimer un discours qui la nie. De l’autre, Baptiste plonge
dans l’univers de Parthenia, où la haine des femmes s’exprime crûment, violemment.
Mais ces deux mondes ne s’opposent pas : ils se complètent. Le jeu vidéo devient le
hors champ idéologique d’une politique réactionnaire et extrémiste. Dans les deux
cas, les femmes occupent la même position : objets de fantasmes, éternelles outsiders
dans des jeux de pouvoir pensés par et pour les hommes. Parthenia ne fait que
prolonger anonymement ce que l’arène politique maintient sous le masque de la
bienséance.

IRL (In Real Life)

La coïncidence entre la sortie du roman et l’actualité récente rend sa lecture d’autant
plus saisissante. Le 27 juin 2025, un adolescent de 18 ans a été arrêté soupçonné
d’avoir projeté d’attaquer des femmes au couteau. Le parquet national anti terroriste
(PNAT) a, pour la première fois en France, mis un jeune homme en examen pour un
projet d’attentat lié aux incels.
Dans sa postface, Pauline Gonthier dresse d’ailleurs un bilan des attentats incels : de
Santa Barbara en 2014 au premier cas européen à Plymouth en 2021, jusqu’à
l’arrestation près de Bordeaux en mai 2024 d’un individu qui préméditait une tuerie
de masse lors du relais de la flamme olympique. Le mouvement incel émerge en
France, 20 ans après les États-Unis, en grande partie à cause des contenus relayés sur
des forums de podcasteurs masculinistes anglophones tels ceux d’Andrew Tate –
devenu gourou de centaines d’autres.
Parthenia gravite autour de ce climat-là, où solitude, honte et orgueil blessé
fabriquent un discours et une posture numérique avant de se projeter en une
violence criminelle dans la vie réelle, IRL (In Real Life). Les frontières entre fiction et
réalité sont de plus en plus poreuses, un sigle ne suffit plus à bien les différencier.
Cette actualité brûlante trouve par ailleurs un écho troublant dans le succès récent de
la série Adolescence sur Netflix, en abordant ces mêmes dérives masculinistes chez les
adolescents. Qu’un roman parvienne à cartographier avec lucidité le continuum
entre frustration sexuelle, dangers du numérique, populisme et haine qui tue, est un
acte littéraire fort. Gonthier parvient à l’essentiel : faire de la littérature un instrument
sensible pour décrypter notre société. — Apolline Limosino.

PAULINE GONTHIER
PARTENIA
LES LÉONIDES

Apolline Limosino
Author: Apolline Limosino

Journaliste. Collaboratrice à France Culture, Apolline Limosino écrit pour différents médias.

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