Marie Charrel — Nous sommes faits d’orage


Après Les mangeurs de nuit, cette fresque que légendes amérindiennes et
japonaises nimbaient d’une discrète aura poétique, Marie Charrel fait des hauts
monts albanais le décor de ce nouveau texte, première parution de la maison
d’édition Les Léonides.


Leur vert profond, leur ciel immense, leurs orages furieux ont toujours été propices à
la naissance de mythes et l’ombre de créatures mystérieuses peuple donc ces pages
– la Kulshera « maîtresse des pluies, de l’eau et des tempêtes » doit se méfier du
drangue ailé et de la préscience des shtrigas, ces sorcières qui taisent leur nom.
En 2023, Sarah découvre ce folklore qui imprègne la lande et les murs épais des
bâtisses du village sans nom où elle échoue. Sa mère lui y a légué une maison, à
elle qui a grandi en Islande et ne connaît rien de l’Albanie. Elle suit son guide et
approche les silhouettes noueuses cachées dans l’ombre, celles qui sont les
gardiennes des secrets des temps passés. Le roman est en effet construit sur un
rythme ternaire : 1970 et 1990 viennent répondre au présent, l’éclairer d’une autre
lumière et y glisser leurs hasards étranges.


Ceux qui étaient animés d’un furieux désir de fuite vers la capitale ont donné
naissance à des enfants-feux qui résisteront aussi farouchement que leurs parents à
la dictature communiste d’Enver Hoxha, l’amour pour leurs bêtes et leurs sommets
blotti dans la poitrine. Pourtant, les lois ancestrales régissant ces montagnes, celles
qui semblent découler des mythes qui s’y nichent, les corsètent peut-être encore plus
fermement que le régime. Le Kanun, « code d’honneur moyenâgeux », fait de la
vendetta, la « gjakmarrja », l’un des incontournables du village – il ne peut y avoir
justice que quand la mort a été donnée, cycle infernal qui condamne à tuer,
génération après génération. Les femmes sont les victimes de ces règles – comme
partout, elles doivent se soumettre, se marier, et voir leurs hommes s’entretuer au
nom de leur vertu bafouée –, mais elles peuvent aussi s’en faire les libératrices, et
mettre fin au ballet mortel.


Marie Charrel crée des personnages braves, souvent indomptables mais faillibles, et
donc très humains. Ses héroïnes sont les « étincelles » de ce texte sensible et
romanesque, leurs silhouettes fougueuses allant d’ailleurs parfois jusqu’à se
confondre, l’un des défauts majeurs de ce livre aux retournements parfois peu
naturels mais couronné d’une poésie exaltée et sauvage. La nature dont naissent les
phrases orageuses, parfois traversées de foudre, se joue de l’Histoire et aura le
dernier mot. — Cécile Peronnet

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