Joffrine Donnadieu est née à Toul, en Lorraine. Si elle a quitté sa province natale à l’âge de 17 ans pour fouler le bitume parisien et les planches du cours Florent, c’est finalement dans l’écriture qu’elle s’épanouit depuis la publication de son premier roman, Une histoire de France, publié aux éditions Gallimard. Après avoir été couronnée par le prestigieux prix de Flore pour Chienne et louve (2022, Gallimard), elle revient pour une troisième rentrée littéraire, avec un texte tranchant, ambitieux, qui nous transporte dans une odyssée somnambule. Joffrine nous étonne par son univers qui s’impose avec force, avec ses personnages puissants, contradictoires, que rien n’appelait à se croiser, et que pourtant tout réunit, nous invitant à plonger avec eux dans leur histoire.
interview Lolita Sene
photos Marlène Delcambre
stylisme Audrey Jehanno
maquillage Laëtitia Majer
coiffure Alexis Mercier
coordination Louisiane Dor
remerciements Christelle Pestana
Clara Fernandes
Éditions Gallimard

Dans vos trois romans, nous retrouvons souvent des thèmes, un angle ou une ambiance, qui vous sont chers. L’un d’eux ressort particulièrement : le corps féminin. Dans Une histoire de France, la transformation du corps d’une petite fille vers l’âge adulte, dans Chienne et Louve le corps qui s’ouvre à la danse ; enfin, dans Aux nuits à venir, le corps d’une femme qui erre dans la rue en proie à des hallucinations et au somnambulisme, et qui sent monter en elle un désir brûlant. Est-ce un besoin, une nécessité, un enjeu d’écrire sur le corps des femmes ?
— Le corps des femmes est une source inépuisable d’inspiration. C’est pour moi un territoire à la fois intime et universel, un lieu où se jouent des transformations profondes, des guerres et des élans de vie. Écrire sur le corps des femmes, c’est tenter de saisir cette complexité, cette fragilité mêlée à une force combative. Mes personnages féminins me permettent d’explorer l’identité, le désir, la folie, la mémoire et la résistance. Je donne voix à des expériences tues qui se jouent dans rapport charnel au monde. Il me semble que chaque femme possède mille et une facettes et qu’une vie entière ne me suffira pas à les écrire.
Il existe aussi un fil conducteur troublant dans chacun de vos romans : la violence entre femmes. Au fur et à mesure que le texte avance, la frontière entre la violence et la solidarité devient poreuse. Qu’en pensez-vous ?
— La violence entre les femmes peut être terrible. Elle fait partie de la complexité des relations que je cherche à explorer dans mes romans. Entre femmes, il existe des liens d’une grande intensité : rivalités, identifications, emprises ; mais aussi une grande capacité d’empathie et d’entraide, même dans la douleur. La violence est parfois un passage obligé pour permettre à mes personnages de se libérer de leurs entraves. Ce qui m’intéresse, ce sont les zones troubles, où l’on ne sait plus qui est la victime, qui est le bourreau, où l’imaginaire et le désir brutal viennent brouiller les pistes.
On a une sensation de perte, de corps qui chute au milieu de la foule, et presque de fatalité pour chacun de vos personnages. Comment décidez-vous de leur donner ces destins, d’où vient l’inspiration, par exemple d’une femme Sans Domicile Fixe, somnambule, dont on pense qu’elle aurait commis un infanticide ?
— L’histoire est en moi depuis un long moment, avant qu’elle accepte de se dévoiler sur une feuille ou sur l’écran de mon ordinateur. Les personnages s’imposent à moi avec leurs failles et leur part d’ombre. La sensation de perte, de chute, est en moi. J’ai toujours l’impression de danser sur un fil. Je connais la précarité, j’ai toujours peur d’y retourner. Il me serait impossible d’écrire la vie d’une femme bourgeoise. Mon inspiration vient souvent d’images qui me percutent dans la rue. Il y a trois ans, lorsque j’ai vu un échafaudage se dresser devant chez moi, j’ai commencé à rêver à ce qui pouvait se passer derrière les bâches. Je me suis passionnée pour cette structure d’acier, et l’idée d’écrire l’histoire de Marge, une femme en quête de refuge qui s’installe clandestinement dans une cabane de chantier, est née. Avec mes personnages, j’essaie de capter la violence du réel et de la sublimer.
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