
Le terrain de jeu du roman
Fabrice Caro est l’auteur d’une œuvre de bande dessinée conséquente sous le pseudo Fabcaro. En quête perpétuelle de nouveautés, effrayé par l’éternel recommencement esthétique, il publie son septième roman, Les derniers jours de l’apesanteur. Un texte sur les tracas de l’adolescence, drôle et nostalgique.
interview Alexis Lacourte
photos Marlène Delcambre
remerciements Christelle Mata — Éditions Gallimard

Dans la réédition de Zaï, zaï, zaï, zaï, est mentionnée le remplacement des auteurs de BD par l’intelligence artificielle. Utilisez-vous l’IA pour vos recherches, ou plus, pour dessiner, relire ?
— Je ne m’en suis encore jamais servi. Ça viendra peut-être si j’en ai un jour l’utilité, pour avoir une information précise que je ne trouve pas ailleurs. Dans le domaine artistique, c’est assez peu probable, je fais plus confiance à mon instinct qu’à une IA.
L’écrivain Nicolas Ancion parle du monde de la BD d’humour avant et après Zai, zai, zai, zai : au-delà de la flatterie, observez-vous quelque chose comme une dynamique positive depuis 2015 et cette parution ?
— Je suis très touché par ce que dit Nicolas mais je trouve ça évidemment un peu exagéré. Je n’ai pas l’impression d’avoir inventé quoi que ce soit. Mais je suis aussi très touché quand des auteurs de la nouvelle génération me disent être influencés par mon travail, ça fait chaud au cœur.
François Desagnat vous compare à Taylor Swift. Que ce soit dans Zai, zai, zai, zai, ou dans vos romans, revient souvent l’idée de se répéter : est-ce une angoisse pour vous de refaire la même chose ?
— Oui bien sûr, mais pas tant par peur de décevoir le lectorat que par peur de m’ennuyer moi, c’est très égoïste au fond. On a la chance de faire un travail où l’on peut choisir ce qu’on a vraiment envie de faire, ce serait dommage de l’aborder comme un travail à la chaîne en usine. Il faut rester excité, sinon ça n’a pas de sens.

Dans votre roman Fort Alamo, on assiste a une parodie comique du roman noir. Avec Les derniers jours de l’apesanteur, je découvre un autre auteur. Quels sont vos prochains défis ?
— On est toujours sur cette idée de maintenir l’excitation intacte. En ce moment je suis sur un projet où je m’essaie à un autre type de narration.
Écrire du point de vue d’une narratrice vous intéresse ?
— J’y ai pensé mais je ne sais pas si j’en suis capable. Philippe Djian fait ça très bien, avec beaucoup de naturel. J’ai tendance à (trop) rester dans ma zone de confort, celle du point de vue d’un narrateur qui me ressemble beaucoup. Mais on ne parle jamais mieux que de ce qu’on connaît.
Peut-être des nouvelles, format par lequel vous avez commencé à être publié ?
— Oui, j’ai écrit pas mal de nouvelles autour de mes vingt-cinq ans. À cette époque, j’avais même gagné quelques concours, je me faisais un peu d’argent comme ça. Et puis j’ai laissé tomber du jour au lendemain, j’ai privilégié le format roman. Je me suis remis à l’exercice très récemment pour un ami qui lançait une édition de nouvelles, Esquif, j’ai écrit un texte qui s’appelle Rumba Mariachi. Ça faisait une éternité que je ne m’étais pas livré à l’exercice, ça m’a amusé de m’y replonger.
Avez-vous pris le pli du roman ?
— Force est de constater que ces dernières années, je passe plus de temps sur les romans que sur les BD. Le roman reste un terrain de jeu plus excitant parce que, pour ma part, moins exploré. Je suis depuis quelque temps sur un rythme d’un roman par an, en plus de tous mes autres projets, c’est peut-être trop. Mais de manière générale, je produis beaucoup trop, il faut vraiment que je lève le pied.
Vous aviez commencé la rédaction de scénario. Où en est ce projet ?
— Je me suis essayé, sur demande extérieure, à l’écriture de scénarios de cinéma et de pièces de théâtre. L’écriture en elle-même m’a beaucoup plu, mais le processus tout autour m’a semblé trop lourd. Trop d’intervenants, trop d’étapes pour que le projet se concrétise. Je crois que j’ai un rythme interne trop rapide pour ce genre d’expérience. Le livre reste mon support privilégié, je suis responsable de A à Z de ce qui est écrit, le livre sort un an maximum après l’étincelle première, on n’a pas le temps de se lasser du projet et on ne passe pas par mille intervenants.
C’est ce qui est décrit, poussé à son paroxysme, dans votre roman Journal d’un scénario ?
— Oui, mais c’était aussi une envie de parler du compromis dans l’Art de manière plus large, jusqu’où est-on prêt à céder aux pressions extérieures pour voir son œuvre exister ?

Dans Les derniers jours de l’apesanteur, un passage a particulièrement retenu mon attention. Le narrateur du récit, un adolescent, manque une soirée à cause du décès de son oncle. À l’Église, passe un morceau « hommage », qu’il trouve au minimum loufoque. Dès lors, il s’inquiète de voir sa chanson coupable, « Quelque chose dans mon cœur » d’Elsa, passer le jour de son enterrement. Vous écrivez : « Il fallait faire attention à ce qu’on écoutait en présence de ses proches… » Avez-vous déjà réfléchi à la question de votre dernière musique ?
— Je choisirais quant à moi quelque chose de très mélancolique lié à mon enfance, pour boucler la boucle, un morceau comme « La marelle », « Porqué te vas » ou un Julio Iglesias bien triste. Avec ce dernier je vais probablement vider le cimetière mais bon, c’est un risque à prendre.
À la fin de l’année, paraîtra un second tome d’Astérix scénarisé par Fabcaro avec Conrad au dessin. Quel est votre tome favori ?
— Ça change tout le temps. Là aujourd’hui je dirais Astérix légionnaire.
Quelques mots pour décrire votre plaisir à participer aux scénarios des nouveaux tomes d’Astérix ?
— Cet univers et ces personnages sont une telle création de génie que je me sens comme un enfant à qui on prêterait des jouets exceptionnels et à qui on dirait : « Vas-y, amuse-toi ».
Les derniers jours de l’apesanteur
Fabrice Caro
Septembre 2025, Gallimard
