En quelques années, les violences faites aux femmes ont quitté les pages des faits divers pour devenir un fait de société. Pour mieux les appréhender, de nouveaux concepts émergent – culture du viol, contrôle coercitif, victimisation secondaire – tandis que s’allonge inexorablement le funeste décompte des féminicides. Mais que sait-on vraiment du vécu de ces femmes avant le drame, jusqu’aux instants de terreur qui ont précédé le pire ? Un calvaire méconnu, et pour cause : la victime a le plus fréquemment été tuée ; et si elle en a réchappé, elle est souvent frappée d’amnésie dissociative pour pouvoir revenir à la vie. Il fallait donc tout le talent et la puissance d’évocation de Nathacha Appanah pour raconter l’indicible – mais aussi un immense courage, car elle le révèle dès les premières pages : elle aussi a été l’une de ces femmes, courant dans la nuit pour échapper à son compagnon violent. C’est d’ailleurs cette image qui a réveillé son traumatisme. Le récit du meurtre de Chahinez Daoud, brûlée vive par son mari non loin du commissariat où elle avait tenté de se réfugier. L’occasion d’interroger la médiatisation de ces drames, par contraste avec la mort de la propre cousine de l’écrivaine, troisième femme de ce récit poignant. Car Emma est tombée sous la violence de son mari mais aussi, et comme tant d’autres, dans l’oubli. La Nuit au cœur est donc un texte déchirant. Pour autant, et malgré les horreurs évoquées, il ne brutalise pas le lecteur. Bien au contraire, il fait preuve d’une immense sensibilité pour raconter la chute et le trou noir dans lequel les victimes sont plongées. Avec la finesse qu’on lui connaît, l’écrivaine choisit ses mots avec soin. Rarement le crime de possession n’a été aussi bien dépeint. Et si ce texte se dévore de manière irrépressible, on est aussi saisi par sa grâce et par le sourire de ces femmes qui continue de nous hanter. — Aurore Leduc

Nathacha Appanah
La Nuit au cœur
Septembre 2025, Gallimard

Aurore Leduc

Rédigé par

Aurore Leduc

Journaliste.