
C’est l’Amérique du pauvre, du white trash, de JD Vance, l’Amérique que l’on connaît avec sa prise du Capitole et sa crise d’opioïdes. Avec ce troisième livre, Jean Michelin nous embarque en van pour traverser le pays d’est en ouest. Le personnage d’Eric raconte l’aventure de ce vieux groupe de métalleux Obliterator qui n’a jamais vraiment percé, à l’heure où Kobain venait de mettre fin à ses jours, et qui se recompose, leur quarantaine passée, pour un dernier hommage, dernier concert, dernier souffle. Beaucoup de « rien à foutre » et de « putain » absolument délicieux, qui traduisent les « FUCK » de cette amérique en désillusion, appauvrie, construite de goudron et de verre, de motels miteux à lit king size et stations-essence perdues au fin fond de paysages désertiques où l’on croise, parfois, un bourg peuplé d’hommes à chapeau cowboy ou casquette John Deere. Obliterator, un nom minable pour quatre hommes qui n’auront pas forcément réussi dans la vie. Mais que signifie réussir dans la vie, quand on a les yeux bien ouverts sur un pays qui part en lambeau ?
« C’est pas la pauvreté. C’est pas l’ennui. C’est pas la violence ni le système. Au fond de nous, le liant, le dénominateur commun, c’est la laideur. Nous, putain, nous les moches, nos rêves moches, nos destins moches. Nos morts aussi. »
Un texte grisant, hilarant, qui nous étonne tant il nous prend à bord de ce camion, tel le cinquième musicien : l’appréhension des répétitions quand on n’a pas touché à une basse ou une caisse claire depuis des années, l’émotion des concerts, l’ennui de la route, les fous rires de ceux qui se connaissent depuis toujours même sans s’être vus durant des lustres. Un roman d’amitié, de grincement de guitare, de bourbon et de bière sans alcool. Un roman sur l’Amérique d’aujourd’hui et d’hier. Un roman de flirt perdu et de temps oublié, que l’on ne saurait regagner. Magistral.
« Un peu d’amour volé à la sortie d’un bar dans une ville inconnue, c’est toujours ça de pris sur le destin. » — Lolita Sene
Jean Michelin
Nous les moches
Aaoût 2025, Éditions Héloïse d’Ormesson