Coup de cœur : Grégory Le Floch — Peau d’Ourse

Nina, 16 ans, n’est pas une jeune fille ordinaire. Postée tout en haut d’un village « logé comme un parasite entre les deux plis de la montagne », l’adolescente regarde le monde de biais. Lesbienne, en surpoids et esseulée, Nina a vu disparaitre jusqu’à son nom sous les railleries. Rebaptisée « Mont Perdu », elle est la bête de foire locale. À l’étroit dans une famille recroquevillée sur sa télévision et ses considérations domestiques. Le père est translucide. La mère, silence en bouche et dégoût dans l’œil, aimerait voir Mont-Perdu « redevenir la gentille petite fille d’avant », quand elle portait encore des robes. Au bord du gouffre, chacun cherche son monstre pour tenir sa vie à l’équilibre. Et dans le village où les mythes de femme sauvage et de chasse à l’ours baignent au sang les imaginaires, Mont Perdu est une proie idéale. Pour contrer son malheur, l’ado se nourrit d’une vie intérieure riche. Elle se coule dans du Björk, parle à son amie imaginaire, « meuf », façon journal intime. Et puis il y a aussi « mes-soeurs-les montagnes », les voix de la nature qui percent son mur de solitude pour lui murmurer les secrets du monde sauvage. La beauté à laquelle elles l’invitent est « broyée, pilée, atomisée en un milliard de paillettes propulsées dans le paysage ». Le spectacle environnant a beau être renversant, les horizons restent bouchés et les sommets inaccessibles. Parmi ceux-ci, il y a Kelly, la fille qu’elle aimerait «  ken ». Kelly et « son odeur de prairie et de linéaire écrasée entre les doigts ». Tout bascule un soir quand elle lui envoie un sexto. Quand l’info fuite dans le village, c’est toute la meute qui montre les crocs, forçant l’ado à se retrancher dans la nature pour se faire ourse.
Après De Parcourir le Monde et d’y roder (Prix Wepler Prix Décembre 2020) et Gloria Gloria (Prix Sade 2023) Grégory Le Floch perfectionne encore ici le sens de la fuite, avec des plongées en subjectivité dont la justesse désarme, notamment dans les passages érotiques. Ce faisant, il renouvelle le genre de la métamorphose. Car en revêtant sa peau d’ourse, son personnage ne tombe pas en animalité, elle endosse l’altérité absolue, celle du vivant intégral, refuge face à la sauvagerie humaine. Une fusion « parfaite entre les hommes et les femmes, les humains et les animaux, les plantes et les rochers », qui opère dans la narration comme dans le style, en rendant à la nature sa voix propre. Une fable éco-féministe puissante. Du Jean Giono punk, sur fond de Björk. — Lou Syrah

Grégory Le Floch
Peau d’Ourse
Août 2025, Seuil

Lou Syrah
Author: Lou Syrah

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