Sous leurs pas, les années : premier roman de Camille Bordenet, paru aux éditions Robert Laffont, au titre évocateur du temps qui passe et qui dépeint une campagne idéalisée, transfigurée par le béton, la modernisation, les centres-villes désertés aux boutiques définitivement fermées, façades hideuses, bornes automatiques, d’un paysage qu’on ne reconnaît plus. 

Le roman s’ouvre sur le village de Valfroid, parcouru par Jess (qu’on n’appellera pas Jessica) conduisant un autobus de ramassage scolaire. Transporté dans les vallées de ces lieux plus ou moins reculés ; bourgade de campagne comme on les comprend désormais, coupée du monde citadin faute de lignes ferroviaires supprimées. Jess n’a pourtant pas quitté les lieux de son enfance dont elle dévore les routes. Au fil des pages, on rencontre avec délice les personnages qui peuplent cette commune et continuent de la faire vivre : les jeunes patrons du PMU qui ont repris l’affaire, la mairesse du village  (coupe de cheveux balai-brosse et lunettes demi-lune) à la folle énergie, la médecin généraliste (l’unique évidemment) à la salle d’attente de plusieurs heures, la grand-mère qui patiente chaque jour la visite du facteur. 

Et puis, comme à travers un miroir, il y a la meilleure amie de Jess, Constance, celle à qui on n’a pas donné de diminutif, qui est partie à Paris sans donner plus d’explications, s’est sauvée à la majorité, a coupé les ponts avec ceux du village, avec sa vie d’avant. Journaliste à la télévision, elle traverse ses jours à mille à l’heure et n’a plus le temps de rien, sinon pour son travail, ses followers et sa jolie réputation. 

On comprend que les deux âmes-sœurs (BFF) ne se sont pas revues depuis des années. L’une compte le temps qui passe, l’autre s’en fiche, et pourtant… Plus qu’un roman sur le contraste entre la ville et la campagne, c’est l’histoire d’une amitié qui s’est rompue, d’une fracture dans le cœur. 

« Ce truc-là était d’ailleurs assez magique qui par la grâce d’une référence commune offrait, pendant quelques minutes, d’avoir à nouveau accès au sot-l’y-laisse de ses seize ans, au quignon de l’enfance, l’autre pareil à son souvenir. »

Puis les rôles s’inversent, s’interchangent, celle que l’on croyait éblouissante et richement dotée n’est pas : réalité des parisiens sans permis de conduire, qui doivent le passer sur le tard. Celle que l’on croyait champêtre aux pieds crottés n’est pas : elle possède l’amour, le vrai, l’éternel.

« Jess vint poser sa joue et son oreille contre le dos de Mick et passa ses mains autour de sa taille. Elle aurait pu habiter là, entre ses omoplates. Avec les années, la maille de leurs deux corps était devenue si serrée qu’il lui semblait qu’ils s’étaient toujours connus. »

Un roman d’amitié forte, sentiments fragiles, trahison et jalousie. Mais surtout de liens indestructibles comme il en existe peut-être aussi avec nos campagnes. — Lolita Sene

Camille Bordenet
Sous leurs pas, les années
Août 2025, Robert Laffont