
Rares sont les romans qui puisent textuellement dans les écrits de l’enfance. Et pour cause. L’Histoire — celle que l’on écrit, celles que l’on se raconte —, est le privilège de l’adulte. Nathalie Dentinger le sait bien. Pendant quarante ans, elle a tu le récit des crimes sexuels vécus. C’était bien avant #metoo, le temps où Bernard Pivot tendait le micro aux hommes qui se gaussaient de « trousser » des « nymphettes ». Pour contrer la cécité coupable des adultes, la petite Nathalie prend la plume à l’époque pour s’oublier dans ses « féeries », des contes brumeux d’ogres et de princesses, un petit théâtre d’ombre et de lumière façon Grand-Guignol où la violence pédoph**** est transfigurée en exutoire littéraire. Quatre décennies plus tard, lors d’un déménagement, l’écrivaine retombe sur ces vieux carnets. Elle décide de piocher dans cette matière précieuse pour tisser Féerie. On y suit « Fracavrac », une enfant livrée à elle-même et à la prédation sexuelle des adultes.
Tous les mécanismes du crime de chair y passent, l’emprise, la culpabilisation, l’abus, le rejet puis le déni collectif. Mais la langue n’y est jamais crue. Car Nathalie Dentinger manie doubles ententes et métaphores pour faire vivre le malaise du drame vécu à hauteur d’enfant. Un travail de l’image qui relève parfois de l’orfèvrerie et qui distingue ce premier roman du récit de témoignage. Une caresse rose hématome. — Lou Syrah
Nathalie Dentinger
Féerie
Mars 2025, Le Dilettante