Avec La vocation, Chloé Saffy montre que la littérature érotique n’a pas fini de se réinventer et de surprendre. Loin de la caricature attendue dès qu’il s’agit de soumission, elle adopte une toute autre approche n’impliquant pas le moindre érotisme, favorisant une exploration psychologique fine, presque clinique et hautement documentée. 

Tout commence par une classique demande d’ami sur Facebook, que la narratrice accepte par curiosité, et peut-être par intuition. En suivant le destin d’une femme rencontrée sur les réseaux sociaux, l’autrice tisse un récit singulier et intime, qu’elle ne cesse de remettre en question. Et si ces soudaines confidences étaient stratégiques ? La narratrice reste lucide, allant jusqu’à soupçonner la supercherie pour faire l’objet d’un roman. Pourtant, les détails de son récit sonnent juste, et elle finit par « chuter dans l’histoire de cette femme ». 

Le livre interroge sa propre nature : est-il réellement érotique ? L’autrice propose un objet littéraire hybride, qui raconte une démarche érotique sans en être. D’entrée de jeu, l’ambition quasi pédagogique assume sa clarté : « Le SM, bien avant la dimension sexuelle, est affaire de discipline. De contraintes. De transfert de pouvoir. » Cette distance assumée vis-à-vis du genre permet une mise à nu des mécanismes de domination et de soumission, sans fard ni séduction. Le roman devient alors un laboratoire d’analyse, une œuvre réflexive, presque théorique, sur les dynamiques de pouvoir et les subtilités de cet étrange contrat. 

Loin de se reposer sur les références attendues tel qu’Histoire d’Ô de Pauline Réage, Chloé Saffy convoque un réseau d’œuvres variées. Le film La secrétaire de Steven Shainberg ou le livre Culte de Ian Solian permettent d’éclairer les comportements de ses personnages. Ces analyses s’entrelacent avec des parenthèses autobiographiques qui renforcent la dimension introspective du récit.

La vocation questionne et explore le sens des libertés, des choix et la manière dont on façonne le récit de sa propre vie. Cette relation virtuelle guidée par le témoignage de cette inconnue prend un tournant mystérieux et angoissant, ancré dans un réalisme vertigineux et un présent insaisissable qui secouent autant la narratrice que le lecteur. C’est un roman aussi obsédant que déroutant. — Estelle Derouen

Chloé Saffy
La Vocation
Août 2025, Le Cherche Midi

Estelle Derouen

Rédigé par

Estelle Derouen

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